vendredi 8 décembre 2006

Le statut des prisonniers de Guantanamo


Le 11 septembre 2001, les Etats Unis sont touchés en plein coeur par une violente attaque terroriste. La riposte ne se fait pas attendre et très vite le Pentagone déclenche la "guerre contre le terrorisme" dont la première manifestation est l'intervention en Afghanistan.
En janvier 2002, près de 660 hommes, issus des forces armées talibanes, sont transférés sur la base militaire américaine de Guantanamo à Cuba.
Le sort des prisonniers et la détermination du droit qui leur est applicable conduit à un clivage entre ceux qui jugent qu'ils relèvent du statut de terroristes et doivent seulement bénéficier des protections minimales relatifs aux droits de l'Homme, et ceux qui estiment qu'ils ont droit au statut de combattant entraînant la pleine application du jus in bello.



L'inadaptation des Conventions de Genève à la spécificité des "combattants terroristes"

Les 4 Conventions de 1949 s'inscrivent dans un contexte où la guerre est vue comme un affrontement inter-étatique. La 3e Convention qui réglemente le traitement des prisonniers de guerre pose donc que, sous la responsabilité de la puissance détentrice, les prisonniers doivent bénéficier d'un statut très protecteur, expression du respect dû à leur fonction. Les personnes "tombées au pouvoir de l'ennemi", combattant pour une Partie au conflit relèvent du statut de prisonniers de guerre: les Talibans capturés en Afghanistan devraient donc bénéficier de ce statut. En outre, l'article 5 de la 3e Convention précise que la déchéance de ce statut ne peut être prononcée que par un tribunal compétent et non par l'exécutif d'un Etat. Jusqu'à ce que le tribunal ait statué, les détenus doivent être traités comme des prisonniers de guerre. Force est de constater le refus des Etats Unis de leur accorder ce statut, même temporaire, au nom des impératifs de sécurité.





Ainsi, le traitement dû aux prisonniers de guerre serait inapproprié dans le cas du terrorisme

Les Etats Unis doivent interroger les détenus pour obtenir des informations concernant les futures actions d'Al Qaida. Or, le statut de prisonnier de guerre rend illicites les interrogatoires (article 27, 3e convention). En outre le statut de prisonnier de guerre prévoit une rémunération pour les détenus qui continuent d'appartenir aux forces armées au sein desquelles ils combattaient (article 60, 3e convention). Il est impensable que cette disposition s'applique aux membres d'une organisation terroriste dont les activités sont pénalement répréhensibles notamment par le droit international. Selon le droit international on peut établir que les Talibans peuvent bénéficier du statut de prisonniers de guerre, ce qui n'est pas le cas à Guantanamo, et que les membres d'Al Qaida aussi, mais seulement à titre temporaire, jusqu'à la décision d'un tribunal compétent, car l'organisation à laquelle ils appartiennent ne respecte pas les lois et les coutumes de la guerre.





D'où la définition incertaine des "combattants illégaux" et son application aux membres d'Al Qaida

Pour éviter que le statut trop contraignant des prisonniers de guerre ne s'applique aux détenus de Guantanamo, les Etats Unis ont eu recours à une notion peu connue du droit international, celle des "combattants illégaux". Avant février 2002, tous les détenus étaient considérés comme tels. Désormais, ce statut ne concerne plus que les membres d'Al Qaida, en raison du caractère non étatique et terroriste de l'organisation. Les Talibans restent dans un flou juridique total: si les Etats Unis reconnaissent que les dispositions de la Convention de Genève leur sont applicables, ils refusent néanmoins de les considérer comme des prisonniers de guerre. Dans une déclaration du 7 janvier, D. Rumsfeld a argué des relations des Talibans avec Al Qaida ainsi que de leur refus de porter des signes distinctifs au combat. Par la, les Etats Unis n'agissent pas en conformité avec le droit international qui donne le statut de prisonnier de guerre sans conditions aux membres des forces armées régulières. Cela dit, il faut bien reconnaître que le statut de "combattants illégaux" dévolu aux membres d'Al Qaida est plus efficace que, par exemple, celui de prisonniers de droit commun car il évite des procès où le respect du principe du contradictoire pourrait nuire à la lutte contre le terrorisme.





Les "combattants illégaux" demeurent cependant une catégorie juridique insuffisamment protégée

Cela concerne d'abord leurs conditions de jugement. Le 13 novembre 2001, le Military Order du Président Bush prévoit la création de tribunaux militaires pour juger les auteurs de violations du droit de la guerre. Ces commissions militaires n'ont pas grand chose à voir avec les Cours martiales prévues par la 3e convention de Genève. Elles font fi de plusieurs règles essentielles du droit de la Défense, faisant échec à leur qualification de tribunal indépendant et impartial. Les fonctions d'instruction, de jugement et d'appel ne sont pas clairement séparées. Autre point : la durée de détention. Celle-ci reste indéterminée. Si un prisonnier de guerre ne peut faire l'objet d'une détention préventive de plus de 3 mois, un "combattant terroriste" ne bénéficie d'aucune protection quant à la durée de sa détention. Son statut aléatoire dépend de la volonté arbitraire de la puissance détentrice.





Ce que l'on peut en retirer c'est la nécessité d'une définition du terrorisme international...

En l'absence de définition générale et universelle, il n'existe pas de statut international du terroriste. On lui applique donc, comme à Guantanamo, un statut aléatoire qui dépend essentiellement du droit interne de la puissance détentrice. Si le terroriste n'est pas un combattant classique et ne peut donc pas bénéficier des mêmes droits en raison des exigences de sécurité, il doit cependant bénéficier pleinement des droits de la défense et d'une égalité dans le traitement, indépendamment de sa nationalité, sa race ou sa religion (cf. contre exemple de l'accord anglo-américain sur le sort des ressortissants britanniques).





...Et l'extension de la compétence de la Cour Pénale Internationale aux actes de terrorisme

En l'absence d'un statut clair, les prisonniers de Guantanamo pourraient être jugés aussi bien par des cours martiales, par des tribunaux judiciaires américains et des commissions militaires. Le choix d'une justice pénale internationale offrirait les garanties d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme comme celles d'un tribunal indépendant et impartial.





Conclusions

Le traitement américain des prisonniers de Guantanamo qui tire parti du flou juridique pour soumettre les détenus au bon vouloir des autorités militaires sans leur laisser de véritable recours ( cf. échec des recours en justice des prisonniers devant les cours américaines du fait que Guantanamo se trouve sur un territoire sous souveraineté cubaine) peut potentiellement entraîner de fâcheuses conséquences: une détérioration de traitement des soldats américains capturés lors de conflits actuels ou futurs et la perte de légitimité pour promouvoir les droits de l'homme auprès notamment des régimes autoritaires.